Anne Calife

Née en 1966, Anne Calife a vécu entre Marseille et Montréal, et se partage aujourd'hui entre Paris et l'est de la France. Après avoir étudié la médecine, elle s'est dirigée vers l'enseignement et est aujourd'hui l'auteur de plusieurs romans, dont deux parus sous son vrai nom, Anne Colmerauer.

 

1. Meurs la faim relate votre vécu, pour Conte d’asphaltes, vous vous êtes immergée dans la vie de sans-abris pendant un an ; d’où vous est venue l’idée de  Tant mieux si je tombe ?

Chaque livre se relie toujours à un moment donné à un autre livre. Mauriac disait "On écrit toujours les même livre". Au début je ne comprenais pas cette phrase. Aujourd’hui, c’est clair. L’auteur ressasse toujours les mêmes doutes, les mêmes peurs. Conte d’asphalte est un effet un texte sur la chute, l’absence de garde-fou social qui amène à vivre la rue. Dans Tant mieux si je tombe, Lucille incarne aussi la fragilité de la limite, limite du "raisonnable" enveloppant le Soi. S’il fallait trouver une image de l’équilibre psychologique, je crois que ce serait tout simplement un… œuf ; bel œuf nu, lisse, posé, pointe en haut. Une effraction, une seule sur la coquille, et l’œuf perdra sasuperbe ovale.

 

2. Sans trop dévoiler la fin, Lucille parviendra-t-elle à être réellement heureuse ? Avez-vous envisagé une suite ?

Cela fait quinze ans que j’écris, publie et quinze ans aussi que je laisse - je m’en rends compte maintenant grâce à votre question - que je laisse, donc, des fins "ouvertes". Au lecteur, le soin d’imaginer la suite du personnage ; c’est peut-être un côté délicat de ma personnalité, dans la mesure où je me refuse à influencer l’autre - je l’ai déjà bien assez torturé - laissant la part belle à son imaginaire. Il faut éviter de ternir l’imagination du lecteur, elle est précieuse.

 

3. Qu’est-ce qui vous a donné envie de quitter le monde médical pour écrire des livres ?

Je crois que je n’ai jamais vraiment quitté le monde médical : tous mes sujets d’inspirations sont toujours plus ou moins des cas cliniques.    

 

4. Comment vous organisez-vous pour écrire ? Avez-vous un rituel ?(la journée, la nuit, le matin, la semaine, avec trois tasses de café à portée de main, ...!)

Oui, des rituels très précis qui deviennent enfermant avec les années. Tout doit être calé au millimètre près, à la minute près, au millilitre près depuis la position du clavier, l’horaire d’écriture, la quantité de café dans la tasse… Parfois même cela me fait peur. Enfin comme tous les rituels, cela doit aider à la concentration…

 

5. Établissez-vous un plan précis et détaillé avant de vous lancer sur l'écriture?

Je collectionne de façon maladive des notes, des impressions, des fragments,du registre sensoriel, ensuite j’élabore une trame narrative, mais très pauvre, très sobre puis j’y colle les morceaux correspondant. Comme une mosaïque, long, très long. Exténuant. Au début certains fragments peuvent se loger dans plusieurs endroits du texte, casse-tête sur plus de cinq cents pages.

Le premier assemblage ressemble à une pâte informe, qui me terrifie, même si au fond de moi, je sais qu’elle contient le ferment du livre. Parfois, se trouvent des éléments que je ne comprends pas mais que je conserve de façon intuitive ; plus tard, beaucoup plus tard, dans un an ou deux, je saurai pourquoi.D’une nature vive et impatiente, je fais là preuve d’une patience exemplaire à l’égard du mystère.Il faut – comme dans toute création - savoir apprivoiser l’inconnu.  

Enfin, je ne lâche jamais un texte tant qu’il n’est pas terminé. Même si cela prend plusieurs années, même s’il ne sera jamais publié. Absurde; oui, mais cela me tient éveillée.

 

6. Quel livre lisez-vous en ce moment ?

Depuis que j’écris, je lis beaucoup moins. En revanche, je relis et tourne en boucle sur les œuvres de Colette - je les possède toutes- et parfois, je peux lire, relire, rerelire plusieurs fois la même page.

 

7. Quel est votre dernier coup de cœur ?

La joie, de Mo Yan. Il ose pousser loin son écriture. J’aime beaucoup les textes proposés par les éditions Picquier.

 

8. Les sujets abordés dans vos romans (boulimie, cyberaddiction ou encore schizophrénie) sont des sujets que l’on peut qualifier de société ; est-ce une façon pour vous de commenter la société actuelle ? Pensez-vous qu’un écrivain puisse jouer un rôle dans la société, comme véhiculer un message ou se faire entendre - et écouter - plus facilement ?

Avec la crise de valeurs que traverse le livre en ce moment, oui, je le crois. Et de plus en plus. L’écrivain reste celui qui regarde, mais de loin. Face à l’urgence, l’écrivain n’est pas proche du feu, comme le journaliste ; il ne doit pas l’éteindre, comme le politique – qui écrit -, malheureusement. L’écrivain a le temps. Toujours avec l’image de l’incendie, il alors peut décrire la couleur des flammes, la fumée ou encore… les cendres. C’est inestimable aujourd’hui.

 

9. Avez-vous un projet d’écriture en cours ?

Toujours. tous les matins. Au millimètre près, hélas.

 

Entretien réalisé le 09 avril 2013

Un grand merci à Anne Calife pour avoir pris le temps de me répondre !

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