Marie Neuser - Prendre femme, tome 2: Prendre Gloria

Le 12 septembre 1993, dans la petite commune italienne de P., Gloria Prats quitte son amie Elena pour un rendez-vous furtif. Elle franchit le perron de l'église de la Miséricorde. Mais les minutes deviennent des heures, et Gloria ne ressort pas. Une fugue ? Un enlèvement ? Pire encore ? Tous les regards se tournent vers Damiano, étrange jeune homme aux déviances notoires, connu pour collectionner les mèches de cheveux des jeunes filles... Une enquête s'ouvre, sans corps, sans explication. Dans la petite communauté municipale, la colère et l'indignation grondent. L'ombre des magistrats menace. Chaque pierre se met bientôt à vibrer du silence de la disparue. L'histoire retiendra que ce 12 septembre à P., les minutes sont devenues des heures. Et le temps, un bourreau.

 

Mon avis: 

 

Deuxième tome de la duologie Prendre femme, ce roman a été publié après Prendre Lily, bien que nous découvrions ici le premier meurtre de Damiano Solivo. Et finalement, ça ajoute un peu de suspense de lire les romans dans l'ordre de parution, cela complexifie énormément le meurtrier dont on découvre la personnalité, la façon dont elle s'est crée, l'enfance, dans ce second volet. 

 

En s'inspirant de faits réels (aussi bien Prendre Lily que Prendre Gloria) Marie Neuser n'a pas souhaité écrire un thriller. mais plutôt un roman qui met en avant les failles du système et le combat de cette famille à laquelle elle rend hommage. 

 

Car Gloria a disparu. Et tout le monde, excepté sa famille, pense à une fugue. Une ado, ça fugue avec son amoureux. Oui mais voilà, elle n'avait pas d'amoureux et elle devait rencontrer un garçon dont le passé suspect est de notoriété publique. Une enquête bâclée, un homme suspecté dont l'alibi en béton ne peut être discuté, des faux témoignages, des morts suspectes, des silences achetés, ... Marie Neuser explore l'Italie de la fin des années 1990 avec pour toile de fond, le portrait de cette jeune fille affiché dans les rues. 

 

La construction du roman est particulière et peut dérouter, mais cet assemblage de points de vues et d'époques forme une mosaïque saisissante et captivante. Ce flou artistique est en réalité parfaitement maîtrisé et même si l'on connaît le nom du coupable, on tourne les pages avec l'envie de découvrir de quelle façon - enfin - il va tomber. Car des protagonistes, il y en a. Entre les enquêteurs, procureurs, ami(e)s, famille, membres de l'Eglise, ... Marie Neuser n'oublie personne et insiste sur l'idée que quelqu'un sait. L'omerta est de mise tout comme l'argent. 

 

Avec une plume qui oscille entre autrice de thriller et journaliste, Marie Neuser nous décrit le cheminement d'une enquête plus que ratée qui aurait pu être résolue bien plus rapidement si la neutralité de certains et l'intégrité d'autres avaient été de la partie. On a tous en tête l'image de l'Italie mafieuse. Ici, c'est un peu ça puisque le père de Damiano Solivo a payé pour des témoignages. Alors oui, me direz-vous, c'était pour son fils et la question que l'on se pose, en tant que parent, est "Pourrais-je faire de même?". Seulement, la petite différence de taille est que le passé de son fils aurait dû l'alerter. Son fils unique, ce fétichiste des cheveux, qui n'hésitait pas à couper des mèches de cheveux à des filles dans le bus ou dans la rue pour des raisons essentiellement sexuelles, ça fait tilt. Il est d'ailleurs horrifiant de constater que Damiano parvient à entourlouper la justice, la police, le monde entier presque, alors que nous le savons coupable. On a juste envie de hurler "Mais c'est lui!". Frustrant et rageant car on lit aussi la détresse de la famille de Gloria, la mère qui chaque jour vient aux nouvelles, son frère qui la cherche partout, devant faire face à ce rempart formé par la famille de Damiano autour de lui, un clan soudé pour lequel il est vitale d'innocenter ce garçon. C'est bien une sorte d'hommage qu'à réaliser Marie Neuser, un hommage à la famille de Gloria, de son vrai nom, Elisa Claps. 

 

"Il n'y a pas de corps. Pour Aldo, cette phrase résonnait comme une absurdité si difficile à prononcer qu'elle le poursuivit longtemps. Sa sœur n'avait plus de corps. Tout ce qu'il avait regardé bouger et vivre pendant seize ans, les rondeurs et les rires, les égratignures et les colères, les bonjours ensommeillés et les croissants mordus à pleines dents, les larmes furtives de dépit et les adorations fraternelles, la progression des traits de crayon sur la toise, tout cela non seulement leur avait été arraché mais leur était tout bonnement renié. Tour de magie d'un dimanche matin et soudain vous n'étiez plus chair, vous laissiez juste un espace vide comme un meuble de famille qu'un cambrioleur a emporté. Il n'y a pas de corps."

 

Ce n'est donc pas un simple roman thriller, mais une véritable enquête. Car on sent que Marie Neuser a creusé l'affaire Claps pour la restituer le plus fidèlement possible. Une tension palpable malgré tout, encore plus quand est évoqué l'affaire de Lily. Si cette affaire concerne le premier tome, il n'est pas nécessaire de les lire dans l'ordre (même si selon moi, c'est mieux). Les deux romans se complètent puisqu'ils évoquent un seul et même meurtrier, mais ils s'accordent, se répondent même (notamment grâce aux courriers envoyés), sans que les lire dans l'ordre ne soit indispensable. Cependant, comme je le disais, je trouve logique de respecter l'ordre de parution puisque d'un simple meurtrier dans le tome un, nous découvrons, finalement, comme il devient un meurtrier dans le tome deux. Marie Neuser n'incrimine personne, mais elle explore l'enfance de Damiano et développe le cheminement qui l'a fait progresser de petit garçon à assassin. Entre les remontrances et critiques de son père, les attouchements du prêtre, les moqueries de ses camarades, on réalise que Damiano ne peut que monter en puissance. En fait, elle nous raconte simplement de quelle façon se construit un meurtrier. 

 

Sans jugement, Marie Neuser a voulu retranscrire cette enquête sans s'attarder sur le nom du coupable, mais sur le pourquoi. Pourquoi ce nom a t-il mis aussi longtemps à être enfin accepté par la justice ? Pour preuve, très peu de chapitres donnent voix à Damiano. Cela aurait peut-être été lui accorder trop d'importance et ainsi éclipser la vraie protagoniste de l'histoire: la famille de Gloria. 

 

Un roman captivant que j'ai adoré lire. Tout comme le premier volet, celui-ci est une pépite car il sort de l'ordinaire. A la fois fait divers et roman, il est avant tout un constat - peut-être acerbe - d'une époque, d'une enquête, de la société ecclésiastique et du système judiciaire. 

 

Note: 19/20

Coup de cœur ! 

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