Valentine Goby - Kinderzimmer

En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes.

Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres.

Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.

Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l’Histoire n’a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l’ignorance dans nos trajectoires individuelles.

 

Mon avis: 

 

C'est un roman qui pourrait être qualifié de témoignage que je vous présente aujourd'hui, mais il est en réalité question d'une fiction basée sur des faits réels. Moi qui suis passionnée par la Seconde Guerre Mondiale, je ne pouvais pas passer à coté de ce roman dont la couverture et le titre intriguent pour plus d'une raison. On ne sait pas trop à quoi s'attendre et même en lisant le résumé, on n'imagine pas de quelle façon Valentine Goby va traiter son sujet. 

 

Nous plongeons dans l'historie sans préambule, en compagnie de Mila et Lisette, deux cousines déportées à Ravensbrück. Mila a un secret: elle est enceinte. Une grossesse qui débute mais qui l'effraie car elle ne s'imagine pas mère dans un camp. Elle se pose beaucoup de question sur l'aspect qu'aura son enfant vu le peu de nourriture qu'elle ingère. A ses côtés, nous découvrons la vie des prisonnières, la vie du camp, les punitions, ... Rien ne nous sera épargné. Valentine Goby, même si elle parle d'une fiction ayant pour décor un fait avéré, ne nous ménage pas et n'hésite pas à nous bousculer quitte à ce que nous versions notre petite larme. Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais, mais il faut admettre que sur bien des points, l'auteure m'a surprise. 

 

"– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?

– La même chose que toi. Une raison de vivre."

 

Tout d'abord, sa plume. Elle se révèle brute, incisive, violente et directe. Des phrases choques et brutes, le plus souvent courtes et sans ponctuation, comme la nécessité d'accorder la violence des situations à ses mots. Ce style, qui peut surprendre, n'est pas sans me rappeler le roman de Karine Tuil - L'invention de nos vies - qui était écrit de la même façon. Au début, j'ai été surprise car je ne l'imaginais pas rédigé ainsi, mais finalement, cette plume s'accorde à merveille avec le sujet dont il est question. 

 

"Elle sait qu'elle portera Ravensbrück comme elle a porté son enfant: seule, et en secret."

 

Un sujet que l'auteure traite habilement. Certes elle évoque les maladies, les plaies, les mauvais traitements, mais elle ne s'attarde pas sur l'horrible, sur les horreurs brutes. Non, elle dote son héroïne de la faculté de faire confiance à ses sens: la vue, le toucher, l'odorat, un retour primaire avant même que l'on apprenne à parler puisque de toute façon, toutes ses nationalités au sein d'un même lieu ne permettent pas d'échanger. Face à son destin dont elle doute, Mila doit se faire confiance et résister pour survivre. Son bébé, elle le mettra au monde au camp et va se battre pour sa survie. Elle va souvent se retrouver désemparée mais saura se montrer forte face au tragique qui va jalonner son temps à Ravensbrück. A toutes ses épreuves, s'ajoute la déshumanisation et la découverte d'un monde nouveau dont elle ignore la durée. Si bien qu'elle s'attache à apprendre des mots allemand, le camp étant devenu son nouvel univers. 

 

Mila met son bébé au monde et découvre la Kinderzimmer. Elle découvre aussi que les bébés du camp ont une espérance de vie de trois mois. Mila compte les jours, observe son bébé, voit les autres mourir. Son petit James, une raison de plus pour vivre. 

 

"Les bouts de papier gris se retournent dans le courant d'air. Mila y voit tout ce qui n'y est pas inscrit. La berceuse de Brigitte. La gamelle de Lisette. La main de Teresa, douce, dans la sienne. Les cygnes blancs glissant sur le lac. Les cadavres raidis dans le Washraum."

 

Étrangement, je m'attendais à entrer davantage dans la Kinderzimmer (puisqu'apès tout, c'est le titre du roman), mais cet espace ne prend pas le pas sur le camp et montre ainsi sa pleine intégration au camp, une entité, un espoir pour les femmes qui se disent que leurs bébés vivront.

 

Alors oui, Valentine Goby nous choque en nous parlant des plaies béantes, des appels au milieu de la nuit, de l'obligation de rester debout par -20, des ruses des Allemands pour tuer, de la crainte qui se répand dans leurs rangs quand ils comprennent que Hitler a perdu, de la description de la Keller (la morgue), de la façon dont les corps sont entassés devant les toilettes, le long des murs, des maladies comme les poux ou la dysenterie, de la violence sourde qui règne entre les prisonnières, de l'instinct de survie qui consiste à déshabiller la morte pour récupérer ses vêtements, de cet autre instinct de survie qui consiste à dormir l'une contre l’autre pour se réchauffer ou encore à écrire des mots, des dates, des noms, sur des petits bouts de papier, pour l'après, pour l'inconnu qu'est la suite. Le tout, sans réelles violences, une narration courte et brute qui se superpose à l'urgence de vivre chaque jour, car on ne peut se projeter au lendemain dans ce monde indescriptible. 

 

Un roman qui met en avant un fait peu connu mais néanmoins avéré.  Roman lu pour le plaisir et dans le cadre du challenge mystère

 

Note: 19/20

Coup de cœur ! 

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Commentaires: 6
  • #1

    roxou06 (lundi, 13 mars 2017 16:20)

    J'ai lu (enfin écouté) ce roman courant février également ! il m'a bouleversé, car les mots de l'auteur sont vraiment durs, et ne cache pas la vérité ! un livre indispensable !

  • #2

    Le Chat du Cheshire (lundi, 13 mars 2017 17:15)

    Il me tente énormément depuis sa sortie et si en plus c'est un de tes coups de coeur, il faut absolument que je le tente :) !

  • #3

    le livre-vie (lundi, 13 mars 2017 20:54)

    Que j'ai aimé ce roman et sa langue, comme tu le dis si bien, brute, écorchée, comme ces femmes finalement...

  • #4

    Les Mots de Gwen (mardi, 14 mars 2017 15:51)

    @roxou06; oui, à lire au moins une fois pour ne pas oublier... des mots durs mais vrais.

    @Le Chat du Cheshire: je ne peux que te le conseiller, mais après il faudra enchaîner avec un roman plus léger!

    @le livre-vie: un très bon roman, c'est certain, il diffère de ce que j'ai pu lire jusque là sur la Seconde Guerre Mondiale.

  • #5

    Froggy80 (dimanche, 14 mai 2017 00:35)

    Il m'a toujorus fait envie ce roman... Sa couverture est envoutante et réconfortante à la fois je trouve!

  • #6

    Les Mots de Gwen (dimanche, 14 mai 2017 14:03)

    Parce qu'elle mêle horreur et tendresse maternelle. En tout cas, c'est vrai que pour le thème abordé, la couverture est belle.
    Bonne lecture si tu te laisses tenter!