Thierry Cohen - Avant la haine

Deux enfants, un juif, un musulman, deviennent amis. 

Ils grandissent, apprennent, se découvrent, s'intègrent. Ils ont des rêves, des espoirs, des luttes communes. Des amours aussi. 

Puis apparaissent les fissures, naissent les désaccords, s'expriment les ressentiments, s'insinue la violence. 

Jusqu'où ? 

Jusqu'à la haine ? 

Avant, Raphaël et Mounir se voyaient comme des frères. 

Peuvent-ils renouer avec l'amitié dont ils étaient si fiers... ou bien est-il déjà trop tard ?

 

Mon avis: 

 

C'est un roman différent que je vous présente aujourd'hui. Un roman qui m'a attirée car je le trouve à la fois très contemporain et très ancré dans l'histoire au fil des siècles. Le résumé se suffit à lui-même, je ne vais donc pas vous en proposer un nouveau; et puis, le livre fait plus de 600 pages, difficile de proposer un condensé sans trop en dire ! 

 

"Pourquoi tenions-nous tant à devenir français alors qu'ils ne voulaient pas de nous ?"

 

J'ai beaucoup aimé ce roman qui met en avant la montée du racisme, un racisme perçu et décrit par nos deux jeunes héros que nous suivons de l'adolescence à un âge plus avancé puisque nous les accompagnons sur une quarantaine d'années. A la lecture du roman, on peut se poser une question: assistons-nous réellement à la montée du racisme ou bien ce racisme s'exprime-t-il plus ouvertement au fil des années ? Une question qui reste sans réponse tant le sentiment des personnes impliquées entre en compte et qu'il est impossible de se mettre à la place des autres pour juger une situation. 

 

"Ma dynamique de vie pouvait se perdre dans ce scrabble de l'identité."

 

Avec Avant la haine, David Cohen nous raconte l'histoire de ces deux enfants d'origine marocaine, un Juif et un Musulman, même âge, même destin ?  J'ai trouvé intéressante l'idée de prendre deux jeunes de confession différente mais issus du même pays pour raconter un phénomène en pleine explosion. Mounir et Raphaël nous racontent qu'au Maroc, Juifs et Musulmans s'entendent très bien, que c'est en France que l'on intègre une différence: comment peuvent s'entendre deux personnes radicalement opposées aussi bien dans leur façon de vivre que de penser ? Habilement, David Cohen ne livre aucune réponse, il met en avant les idéologies de chacun et le tout sans prendre partie. Si bien qu'il n'est pas rare, au fil des pages, d’assister à des confrontations entre plusieurs personnes. Le tout sur fond de faits avérés. Car c'est sur ce point que je tire mon chapeau à l'auteur puisqu'il a écrit son histoire, somme toute imaginaire mais possible, en plaçant ses protagonistes au milieu de faits ayant existé. En nommant ce qu'il s'est passé en France, en Israël ou même au Maroc, David Cohen rend crédible son récit et sans le vouloir (je le pense), nous oblige à réfléchir. C'est vrai qu'on vit dans le monde tel qu'il se présente, mais à la lecture du roman, on constate une montée de la violence. Ainsi, nous lisons l'affaire Kelkal, les attentats de la station Saint-Michel à Paris, les bombes posées devant les synagogues, le conflit Israëlo-Palestinien, le match de football France/Algérie de 2001, les spectacles de Dieudonné, la montée du Front National et de Le Pen, l'assassinat d'Ilan Halimi, la mort de Ben Laden, les caricatures danoises du prophète Mahomet, le Printemps Arabe ou encore les meurtres de Mohamed Merah. David Cohen nous relate les faits en y ajoutant les réactions de Mounir et Raphaël. 

 

"(...) j'ai vécu à la périphérie de mes rêves, comme à la banlieue de mes aspirations."

 

En parlant d'eux - ils sont quand même les héros de ce roman - j'ai été touchée par l'évolution de leur amitié. Mais aussi attristée de voir de quelle façon le livre se referme (ou s'ouvre, parce que le premier chapitre n'est autre que la fin de l’histoire, nous remontons le temps par la suite pour comprendre comment ils en sont arrivés là. Très proches, ils ont laissé le monde extérieur intervertir dans dans leur amitié. Raphaël est devenu de plus en plus religieux, au grand dam de Mounir qui ne l'a pas vu venir jusqu'à la dispute. Je trouve dommage de bâcler une amitié pour des histoires de religion d'autant que jusque là, cette opposition était leur ciment. Quoi qu'il en soit, ils ne seront pas sans se revoir ou penser l'un à l'autre. En mettant à mal cette amitié, David Cohen sème l'idée des conséquences d'une guerre se déroulant à des centaines de kilomètres. Des conflits qui mènent à la haine et à l’incompréhension de l'autre, comme si celui qu'on pensait connaître n'existait pas et qu'il se révèle au fil des ans. 

 

"Je crois, en vérité, que le problème de la France est de ne plus savoir qui elle est, ce qu'elle veut être, de ne plus offrir de rêves à sa population, de n'avoir aucun modèle à proposer, d'identité porteuse de sens et d'avenir à offrir."

 

Il est difficile de parler de ce roman. Je pense qu'il faut le lire car il apporte un certain éclairage sur bien des situations. Comme je le dis, l'auteur ne prend pas parti, ce roman n'est donc pas un roman engagé, mais un roman à lire pour y découvrir un peu de l'auteur qui met beaucoup de lui même dans ce roman. Certainement la raison pour laquelle je trouve que le personnage de Raphaël est un peu plus développé; il en vient à se poser une question: est-il un français de confession juive vivant en France ou un Juif de France ? Pour lui, il y a une distinction, une évolution des mentalités même s'il a en tête le sort des Juifs de la Seconde Guerre Mondiale. 

 

Comme je le disais, David Cohen n'a pas voulu prendre parti, porter atteinte à une religion plus qu'une autre, il s'est inspiré de son passé pour écrire ce roman. Il le dit lui même, ce roman n'a pas pour vocation d'expliquer la haine mais de montrer de quelle façon elle s'insinue et grandit lorsqu'on ne se comprend plus. 

 

Un très beau roman que je vous conseille vivement. Il sort des sentiers battus pour moi car je ne suis pas adepte des romans qui traitent de religion, mais la façon dont il est mis en scène est captivante. Et saisissant de vérité, je pense. 

 

Note: 18/20

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